Guibert Michaut 2009

De wikicap


Les facteurs individuels et contextuels de la fraude aux examens universitaires

1. Références

  • Référence complète APA : Guibert, P. et Michaut, C. (2009). Les facteurs individuels et contextuels de la fraude aux examens universitaires. Revue française de pédagogie, 169, p. 43-52.


  • Revue :



2. Copies

  • Copie physique :



3. Mots-clés



4. Abstract

Phénomène peu étudié en France, la tricherie universitaire peut paraître marginale, eu égard à la rareté des sanctions juridiques dont elle est l’objet. Pourtant notre recherche par questionnaire (auprès de 1 815 étudiants) montre, à l’instar des études anglo-saxonnes, que 70 % des étudiants déclarent avoir triché durant leur scolarité. Partant de ce constat nous avons, sur la base de leurs déclarations, construit un indicateur permettant de déterminer l’impact des caractéristiques individuelles et contextuelles sur la fraude aux examens universitaires. Les principaux résultats de cette recherche révèlent une intensité de la fraude qui s’accroît, d’une part avec le niveau de tricherie au lycée et d’autre part avec la composition du groupe de pairs.



5. Résumé (facultatif)


Introduction

  • Les recherches, essentiellement américaines, montrent qu’une majorité des étudiants se sont engagés dans des pratiques « frauduleuses » plus ou moins intenses au cours de leur carrière universitaire.
    • Whitley (1998), à partir d’une méta-analyse, estime à 70 % en moyenne les étudiants américains ayant triché au cours de leurs études universitaires, toutes formes de tricherie confondues (fraudes aux examens, plagiat).
    • Selon Mc Cabe, Trevino et Butterfield (2001), la tricherie a fortement augmenté entre 1963 et 1993
  • De nombreuses recherches ont également tenté d’établir une corrélation entre la tricherie et les caractéristiques des étudiants (Whitley, 1998 ; Crown & Spiller, 1998).
    • Certaines caractéristiques (genre, âge, religion) sont peu ou pas du tout associées à la tricherie.
    • À l’inverse, les étudiants ayant un niveau scolaire faible (mesuré par le grade point average) trichent davantage
    • les étudiants qui déclarent tricher ont moins fréquemment des pratiques studieuses (comme l’assiduité aux cours, ... travail personnel conséquent et régulier) et consacrent par contre plus de temps à d’autres activités extra-universitaires
    • la fréquence de la tricherie universitaire est surtout corrélée à celle de la tricherie scolaire
  • le contexte universitaire peut limiter la tricherie
    • tout particulièrement les conditions de surveillance, alors que les sanctions ou l’« engagement moral » ne s’accompagnent pas toujours d’effets significatifs
    • les étudiants déclarent plus fréquemment tricher lorsque le groupe de pairs triche également.
  • En France
    • quasi pas de travaux sur le sujet
    • la tricherie universitaire peut sembler exceptionnelle si l’on se réfère au nombre de sanctions disciplinaires prononcées chaque année



Questions de recherche et méthodologie

  • Deux questions :
    • 1) apprécier l’ampleur des différentes formes de tricherie universitaire
    • 2) d’autre part examiner, toutes choses égales par ailleurs, l’effet des caractéristiques individuelles et contextuelles sur l’intensité d’une forme particulière de tricherie : la fraude aux examens universitaires.
  • enquête par questionnaire à l’ensemble des étudiants d’une université pluridisciplinaire française (N = 32 000)
  • 108 questions fermées et de 5 questions ouvertes
  • taux de réponse : 1 815 étudiants (soit 5,7 % de la population)



Définir le périmètre de la tricherie

  • Difficultés à définir la fraude
    • les dispositions réglementaires (françaises) visent à prévenir la fraude mais n’en donnent aucune définition.
    • Elles excluent, de surcroît, les situations dans lesquelles les examinateurs, les surveillants, les correcteurs ne peuvent pas apporter une preuve matérielle de fraude aux examens ou du plagiat... reviendrait à occulter certaines formes de tricherie, comme le coup d’oeil sur la feuille du voisin
    • les pratiques dépendent des époques et des contextes scolaires. Par exemple, la fraude au baccalauréat existe depuis la création de ce diplôme et l’usurpation d’identité organisée à grande échelle était un des moyens utilisés à une période où il était difficile de contrôler l’identité des individus (Marchand, 2008).
    • il n’existe pas de définition commune partagée par un même groupe social. Par exemple, la présente enquête montre que 46,0 % des étudiants considèrent que c’est tricher lorsqu’on demande à quelqu’un le résultat d’un exercice, mais ils sont 54,0 % à penser le contraire.
  • Partant de ces différents constats, nous n’avons pas donné de définition a priori de la tricherie, mais nous avons constitué une liste des pratiques les plus fréquentes établie sur la base des travaux de Lambert, Hogan et Barton (2003). Nous avons regroupé ces pratiques en cinq grandes catégories :
  1. « copier, plagier » : copier sur la feuille du voisin, récupérer le brouillon de son voisin, recopier un texte ou une partie d’un texte et le présenter comme un travail personnel, reproduire le travail d’un autre étudiant sans y faire référence ;
  2. « falsifier » les résultats d’une expérience, d’une enquête, son identité (1) ;
  3. « leurrer le correcteur » : inscrire plusieurs réponses en espérant que le correcteur accordera des points pour l’une d’entre elles ; indiquer dans une bibliographie des ouvrages ou des articles non lus, demander un délai supplémentaire pour rendre un travail en donnant une excuse factice ; utiliser une synthèse, lire un résumé plutôt que l’ouvrage original ;
  4. « utiliser des supports non autorisés » : antisèche, dictionnaire, calculatrice programmable, etc. ;
  5. « s’entraider illicitement » : demander à une autre personne de faire à sa place un travail ; demander la réponse à un autre étudiant ; donner la réponse à un autre étudiant ; se répartir le travail à plusieurs.

(NB. EU : remarquer que la définition est assez large ici).



Fréquence des pratiques

  • Rappelons que 70,5 % des étudiants disent avoir déjà triché au cours de leur scolarité. Parmi ces derniers, 4,7 % déclarent avoir surtout triché à l’école primaire, 48,3 % au collège, 35,6 % au lycée et « seulement » 11,4 % à l’université.
  • Cela étant, la fréquence de la tricherie est relativement faible : par exemple, seuls 11,5 % affirment avoir assez souvent ou très souvent copié sur la feuille du voisin au collège. Ils ne sont plus que 10,9 % à l’avoir fait au lycée et 4,9 % à l’université.
  • Pour chaque type particulier de fraude, la fraude fréquente tourne en moyenne autour de 1%.
  • Le copion (antisèche) est la fraude la plus fréquente : 70,5 % des ét disent ne jamais y recourir, 6,4 % assez souvent, 2,3 % souvent.
  • Concernant les pratiques de plagiat, 65% des étudiants déclarent ne jamais y avoir recours.
  • Certaines pratiques (se répartir le travail à plusieurs », « inscrire plusieurs réponses ») sont faiblement corrélés aux autres et seraient donc moins de la fraude que "des moyens d’apprentissage visant à se simplifier la vie".



Effet des caractéristiques individuelles

  • Passé de fraude : Ce sont les pratiques antérieures de tricherie scolaire, tout particulièrement au lycée, qui expliquent le plus la fraude aux examens universitaires. Ces pratiques représentent à elles seules plus de la moitié de la variance expliquée.
  • Sexe :
    • en chiffres bruts, les filles trichent moins que les garçons : 35,0 % des filles disent n’avoir jamais triché au cours de leurs études universitaires contre 24,9 % des garçons.
    • cependant, ce n'est pas significatif si on contrôle d'autres variables : les filles ont déjà moins triché au lycée; elles témoignent d’une moindre propension à adopter des comportements « déviants » (télécharger illégalement de la musique, voyager sans titre de transport, tricher au jeu, etc.); elles se conforment davantage aux attentes de l’institution scolaire, en travaillant plus intensément et surtout plus régulièrement; elles sont plus souvent inscrites dans des formations (lettres, droit, psychologie) où la fréquence de tricherie est plus faible
    • elles portent plus fréquemment un regard critique sur les pratiques de tricherie
  • Résultats scolaires :
    • les bons étudiants trichent plus! Ceux qui ont obtenu une mention assez bien, bien ou très bien au bac trichent, toutes choses égales par ailleurs, significativement plus que ceux qui l’ont obtenu avec une mention passable.
    • les étudiants trichent moins pour réussir que pour avoir une meilleure note.
    • en secondaire c'était l'inverse, ça s'égalise à l'unif -> les bons étudiants se mettent plus à tricher à l'unif.
    • La facilité de la triche à l'université est un facteur potentiel.
    • Houston (1978) suggère que les étudiants dotés d’un fort capital scolaire pourraient estimer que le gain potentiel vaut le risque quand la probabilité de détection est faible. Assurés de leur réussite, ils chercheraient non pas à obtenir la moyenne à l’examen, mais à obtenir une meilleure note. À l’inverse, les étudiants dont les espérances de succès sont faibles tricheraient moins parce qu’ils ne s’attendent pas à en tirer d’avantage suffisant. C’est-à-dire qu’ils s’attendent à être en difficulté, qu’ils trichent ou non.
  • Année : Les étudiants de première année trichent significativement moins que les autres (25,9 % vs 42,2 %). Interprétation : ils sont encore à découvrir les codes du système.
  • Activités extra-scolaires : les étudiants qui sortent plus trichent plus. "Il s’agit alors pour eux de compenser le « manque de temps » et/ou le « désintérêt » pour certaines matières par la fraude aux examens.
  • Comportement déviants : Les étudiants téléchargeant illégalement de la musique trichent un peu plus que les autres. D'autres comportements déviants illicites (faire une fausse déclaration auprès de services administratifs, tricher à des jeux de société ou lors d’activités sportives, prendre les transports en commun sans titre de transport) ne sont cependant pas corrélées à la triche universitaire. Les auteurs expliquent donc la corrélation avec le téléchargement plus comme la concurrence d'activités extra-scolaires que comme de la déviance.



Influence du contexte

  • les étudiants de sciences et technologie (y compris les étudiants d’IUT et de l’École polytechnique) déclarent significativement plus tricher que les étudiants de droit ou de sciences économiques
  • les conditions de surveillance (qui varient selon les formations) jouent un rôle : les étudiants trichent davantage si le contexte y est plus favorable, en particulier si l’organisation et les conditions de surveillance le permettent
  • le facteur le plus important est cependant le pourcentage de tricheurs dans la cohorte : "Ainsi les réseaux sociaux des étudiants, tout particulièrement la proportion de « tricheurs » connus personnellement, affectent significativement la probabilité de fraude aux examens. Ceux qui disent ne connaître aucun étudiant qui triche ne sont que 39,0 % à tricher alors que ceux dont l’entourage est composé de plus de la moitié de « tricheurs » sont 90,2 % à tricher."